Est-ce avant tout une histoire commerciale ou est-ce aussi une histoire de goût de lecture ou de choix artistique pour ce qui concerne une BD qui est aussi une œuvre artistique, graphique ?
C'est clairement une histoire commerciale pour certains titres. Quant aux autres, c'est une histoire de goût mais pas forcément les miens. Il y a une clientèle fidèle, notamment du côté des enfants, je sais donc ce qui peut plaire ou non. Bien sûr, j'essaie de mettre mes coups de coeur en avant mais comme vous le soulignez, une BD est une oeuvre graphique et artistique. C'est très subjectif, encore plus qu'un roman puisqu'en dehors de l'histoire racontée, il faut aussi être sensible au dessin, au coup de crayon, à ce que le dessinateur a voulu faire passer à travers son dessin.
Vivez-vous les invendus et leurs retours aux diffuseurs comme un échec ? C’est une façon de constater que l’on n’a pas su faire adhérer le lecteur pour un livre que l’on a choisi ?
Non, pas du tout! Comme je le soulignais plus haut, il y a énormément de sorties, chaque semaine alors forcément, il y a des retours obligatoires. Même si le but étant de vendre un maximum de titres bien sûr. Quant au fait de ne pas avoir su faire adhérer le lecteur à un coup de coeur et bien tant pis ! Encore une fois, tout est question de subjectivité. Je préfère me réjouir de voir partir entre les mains d'un lecteur ceux que j'ai aimé plutôt que de m'attrister de les voir repartir chez l'éditeur.
Des BD sont-elles censurées ? Existe-t-il une censure des libraires ?
C'est une très bonne question! Je ne m'étais jamais interrogée à ce sujet. Oui, je pense qu'en BD comme dans d'autres rayons, des BD peuvent être censurées mais personnellement, je ne l'ai jamais fait. La censure étant une privation de liberté, à mon sens. Encore une fois, tout est question de goût. Ce n'est pas parce que le libraire n'aime pas ou juge qu'un livre n'a pas sa place dans son rayon qu'il doit l'interdire. Ce n'est pas son rôle.
Est-ce que la typologie des clients entre en ligne de compte ? Plus simplement est-ce que l’on met en avant des livres en se disant que sa clientèle traditionnelle va acheter et donc que le chiffre d’affaires va être bon ou y-a-t-il encore une place pour l’œuvre atypique qui étonne, dérange ou sort des « sentiers battus » ?
Oui, clairement. J'aime la BD mais il faut aussi penser à manger et pour avoir un salaire à la fin du mois, il faut vendre un minimum :)
Mais quand des nouveautés arrivent, je pense à certains clients. Je me dis que telle ou telle BD peut plaire à telle ou telle personne et je fais en sorte soit de la mettre en avant, soit de la sortir des rayons pour la conseiller lorsque je vois la personne concernée. Mais malgré cela, il y a toujours de la place pour les BD atypiques. Je pense notamment à celle de Manu Larcenet "Microcosme" ou encore celle de Chris Ware " Building stories". Heureusement que ces BD peuvent encore exister d'ailleurs ! Ce serait un peu monotone si l'on avait toujours le même genre d'ouvrages.
Est-ce que l’on peut laisser ses goûts personnels de côté en arrivant à la librairie ? Quels sont d’ailleurs vos goûts personnels en matière de BD ? Si ce n’est pas indiscret…
Je crois qu'il est important de ne pas laisser ses goûts personnels de côté justement! Bien au contraire, c'est ce qui fait la force d'un libraire. Il faut bien sûr être ouvert aux autres mais les goûts personnels sont importants.
Je suis assez éclectique dans mes lectures. J'aime beaucoup le dessin de Gibrat (Le sursis est l'une de mes BD préférées). Larcenet, Chabouté, des séries comme De Cape et de Crocs, Blacksad, Pico Bogue ou les Carnets de Cerise (pour ne pas laisser la BD jeunesse de côté). Les mondes d'Aldébaran, Panaccione, Craig Thomspon (Blankets), Bastien Vives (Dans mes yeux, Polina) ... Et beaucoup, beaucoup d'autres !!
En tant que libraire, qu’est-ce qui vous fait le plus plaisir ? Voir se vendre une œuvre différente qui aura été mise en avant par vous ou autre chose ?
Pas forcément. Forcément, voir une BD que j'ai aimée et mise en avant se vendre me fait plaisir. Mais j'aime beaucoup partager avec les lecteurs. Adultes comme enfants mais j'avoue être assez fière lorsqu'un enfant ne lisant pas beaucoup revient me voir pour acheter les tomes suivants de la série que je lui avait conseillé. Si j'ai choisi ce métier c'est pour les livres d'une part mais aussi pour l'échange, le partage, le débat qu'il peut susciter, que ce soit avec les clients/lecteurs comme avec les collègues.
Merci Héloïse Grandin pour vos réponses. Nous entrerons tous dans une librairie avec un autre regard.