Benoît Abtey vient de scénariser Arsène Lupin - les origines, publié chez Rue de Sèvres. Comme d'habitude, Le Vieux Fumetti veut comprendre le « pourquoi du comment »....
Comme on est jamais mieux servi que par soi-même, présentez-vous Benoît Abtey. Qui êtes-vous ? Pourquoi ce métier d’écrivain et scénariste ?
Je suis un autodidacte, un diplômé de l’école buissonnière. Je suis d’abord entré à la Sorbonne, en lettres modernes, puis à quelques pas de là, à l’ENSAD, l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris. Je suis resté six mois à la Sorbonne, deux ans à l’ENSAD. Je suis réfractaire à l’enseignement contemporain. A la Sorbonne, j’ai fui les cercles d’étudiants prétentieux, adorateurs de Sartre et de Kundera. Je ne m’y retrouvais pas. Je m’y ennuyais. C’est très snob, la Sorbonne, vous savez… Du moins, ça l’était.
J’ai été déçu, également, aux Arts Déco. J’étais très impatient. Je voulais recevoir des leçons à l’ancienne, façon vieille école, dans la tradition. Ce n’était pas la bonne adresse. Bref, j’ai pris un chemin de traverse et j’ai décampé à travers bois.
La suite est un enchaînement de péripéties…Vivre d’abord et philosopher ensuite, dit l’adage. Je l’ai suivi à la lettre.
Fabriquer des récits, c’est pour moi le moyen de faire partager ma vision du monde et des hommes. Sans discours, sans sermon, avec une certaine distance. J’ai une passion pour l’Histoire, pour notre passé. Tout y est. Le profane et le sacré, le sublime et l’horrible. C’est notre héritage, la source intarissable. J’y puise mon inspiration et ma force.
Vous semblez aimer reprendre les personnages de la littérature français...On connait déjà Arsène Lupin. Il y a eu aussi les 3 Mousquetaires et donc d’Artagnan. Pourquoi ? Est-ce par facilité ?
Petite mise au point : la série que je suis en train d’achever chez Flammarion s’intitule Les Secrets de d’Artagnan. Les trois mousquetaires en sont absents. Quant à la facilité, elle se trouve partout. Tout est une question d’exigence personnelle. Quelle que soit le thème, le genre, concevoir une bonne histoire demande du sérieux, du travail. Il faut creuser son sujet jusqu’à trouver l’or… Qui n’est jamais à portée de main.
Et puis, quand on ranime de grands personnages, on doit se montrer à la hauteur, ne pas décevoir. Car il y a beaucoup d’attentes. C’est tout un art, je crois, d’être fidèle à l’esprit sans devenir académique. Garder la quintessence oblige à faire preuve d’invention. Il faut quitter les sentiers battus sans pour autant sortir du cadre. Il faut être dans le rôle en apportant sa griffe…
Du reste, il s’est trouvé que le hasard que l’on nommait jadis la Sainte Providence m’ont «imposés» ces figures mythiques du patrimoine : d’Artagnan et Lupin. Il serait un peu long de développer en détails le cheminement qui me conduisit jusqu’à eux. En vérité, et sans aucune modestie, je crois que ce sont eux qui m’ont choisi.
D’Artagnan et Lupin sont deux visages de la France. Ces héros représentent notre pays. Avec Astérix, nous n’avons pas d’autres figures qui portent mieux nos couleurs jusqu’au bout du monde. Ils incarnent des valeurs nationales : l’audace et la liberté, l’indépendance et la témérité. Ils ont encore dans leurs attitudes, leurs poses, une certaine grandiloquence, qui est du lyrisme en action. Ils sont un tantinet cabotins. Il y a du Molière en eux. Ils aiment soigner leur entrées et leur sorties comme si le monde était un théâtre qu’ils devaient éblouir par quelques morceaux de bravoure signés d’un mot d’esprit.
J’aime l’idée de ces héros positifs qui pratiquent l’ironie et demeurent élégants en toutes circonstances. Ils ont du style. Ils aiment en faire trop, ils affectionnent la bravade, le coup de pique, ils sont irrévérencieux, insolents et frondeurs. Je crois que ce sont ces caractéristiques qui les rendent si attachants, si populaires et qui fondent la marque de fabrique du génie tricolore : un mélange de profondeur et de légèreté, un dynamisme sanguin, un côté sabre au clair et en même temps désillusionné.