Antoine Ozanam est un scénariste heureux. Ce mois-ci sortent deux de ses livres ; Klaw travaillé avec Joël Jurion au dessin chez Le Lombard et L'Ombre blanche développé avec Antoine Carrion chez
Soleil Productions. Il a accepté gentiment de répondre aux questions d'Oncle Fumetti. C'est riche, intéressant et pas dénoué d' humour. Bonne découverte.
Bonjour Antoine. Même si on peut lire des éléments sur toi sur internet on te connaît encore peu. Qui es-tu ? D'où viens tu ?
Ohlala, ça commence fort ! Homme de type caucasien de bientôt 43 ans. 1m72, brun et myope. Avec 5 kilos en trop. Ayant déménagé 15 fois (3 ans en moyenne donc), j’ai du mal à dire d’où je
viens. Disons que je suis un banlieusard parisien qui a réussi à s’enfuir.
Comment en vient-on à écrire des scénarios pour la bande dessinée ? Est-ce que une vocation ?
Faire de la BD est une vocation. Mais comme tout le monde (comme tous les gamins), je me projetais dans le dessin. J’ai mis assez longtemps à comprendre que je préférais raconter des
histoires que les dessiner. Mais dès que j’ai compris, ça a été une évidence.
On trouve trace de toi dans le 9ème art pour des publications depuis 1999 environ. Tu as commencé, je crois, par un album Hotel Noir sorti chez Paquet, que tu as dessiné avec Bruno
Lachard. Peux-tu nous en parler ?
J’ai connu Bruno à Bruxelles pendant mes courtes études à Saint Luc. Quelques années plus tard, il m’a fait rencontrer Paquet. Je lui ai montré mon book et il a flashé sur des
illustrations qui mêlaient pate à modeler et dessin. Il m’a dit « si tu fais une histoire avec cette technique, je te signe ». Bruno est venu assez vite dans le projet. Il a modelé tous les
persos et a dessiné toutes les affiches de propagande que l’on peut voir sur les murs de la ville.
Tout allait bien jusqu’à la publication de l’album ! Au dernier moment, Paquet a changé de format… puis à la sortie, il a changé de diffuseur… C’est ce que l’on appelle « apprendre son
métier ».
Pourquoi ne dessines-tu plus ?
Le dessin n’a jamais été une évidence. Et faire des planches a été une véritable souffrance physique. À la limite, je serais plus un illustrateur qu’un dessinateur. Mais même là, il
faudrait vraiment que je me fasse violence. Du coup, je dessine encore mais uniquement pour mon plaisir. Et ça redevient une évidence…
Quels sont tes thèmes de scénarios préférés ?
Le mot d’ordre dans tout ce que j’écris, c’est « liberté ». Je veux me sentir libre d’écrire ce qui me fait plaisir au moment où je le fais. Je ne suis pas du genre à vouloir creuser
un sillon pour qu’on me reconnaisse… Je préfère que le lecteur se souvienne de mon histoire que de mon nom. Du coup, ça ouvre un énorme champ de thèmes possibles.
Mais si je regarde bien, je crois qu’il y a certaines choses qui reviennent : La double identité, les actes manqués…
Qu’est ce qui te permet d’élaborer des scénarios ? Comment travailles tu ? Comment trouves-tu tes sujets ? Quel est ton rythme de travail ?
Au départ de l’écriture, il y a le dessin. Je suis du genre à attendre de trouver le bon dessinateur avant d’écrire. Bien sûr, avant, il y a des idées qui me trottent dans la tête. Mais
ça devient concret avec le dessin. D’ailleurs les gens qui bossent avec moi savent que pour me stimuler rien ne vaut un croquis…
Pendant longtemps, ça m’a obligé à avancer sur une historie avec trois ou quatre pages de décalage avec le dessinateur. Mais j’ai maintenant envie d’écrire mes histoires d’un seul trait
(ce qui n’empêche pas les relectures). J’ai l’impression de perdre de la spontanéité. On verra.
Pour les sujets, c’est moins conscient. Il y a des « choses » intimement liées à ce que je suis. Qui m’ont construit en tant qu’homme et que j’ai envie de partager. Ça peut être une
atmosphère musicale ou la vie fictive d’un perso de roman. C’est de plus en plus la vie de gens réels. Après tout, à quoi bon inventer quand la réalité est encore plus folle.
Le rythme varie beaucoup. Mais il n’a rien à voir avec les parutions d’une année. A la limite, j’écris forcément plus que ce qui sort en une année. Puis qu’il y a aussi les choses que
j’abandonne ou que je mets de coté… et puis, c’est sans compter le fait qu’une histoire peut rester très longtemps en gestation dans ma tête.
Préfères tu les séries ou les « one shots » ? Qu'est ce que détermine la longueur d'une œuvre ?
J’adore les deux ! Je dirais même que l’un ne va pas sans l’autre. J’aime que le lecteur ait toute l’histoire d’un coup car il peut juger du contenu d’un seul coup. Mais j’aime aussi
l’idée que l’on puisse faire une véritable série où le rendez-vous serait pris avec le lecteur tous les ans. Malheureusement, c’est très dur à mettre en place.
En tant que lecteur, que Franck Legall annonce qu’il va refaire un Théodore Poussin, c’est comme si un pote me téléphonait pour me dire qu’il va revenir de voyage et qu’il aimerait
passer à la maison. J’aimerai bien pouvoir créer ça. Pour l’instant, je n’ai fait que des miniséries...
Parle nous de Klaw qui est un de tes derniers albums conçu avec la collaboration de Jöel Jurion ? Qui a eu l'idée ?
L’idée de travailler ensemble ? Je connaissais Joël par le biais d’un copain. Un jour, il m’a demandé si je serais intéressé de bosser avec lui ! La réponse était évidente. Mais je
n’avais pas osé lui proposer.
L’idée de l’histoire, c’est ma pomme. Mais j’avais vu certains croquis de Joël qui m’avaient fait penser qu’il serait la bonne personne pour une histoire de ce type.
C’est un tryptique. Pourquoi trois albums ? Cela tient au scénario ou est-ce une volonté de se limiter ? Les albums suivants sortent très rapidement, le dernier en août. Pourquoi ? Envie de
passer vite à autre chose ?
Au départ, je voulais lancer une véritable série. Un « ongoing ». Avec un album par an pendant 60 ans. Mais ne voulant pas effrayer ni Joël ni Le lombard, j’ai vu qu’il me fallait 3
albums pour tout mettre en place. Pour que si ça s’arrêtait le lecteur ne soit pas frustré de ne pas en avoir assez. Là, on va voir évoluer Ange qui passe du préado au jeune adulte. Il y a une
vraie fin pour moi au bout des trois tomes. Mais elle est ouverte… disons qu’on en reste à un truc qui pourrait s’approcher de « ils vécurent heureux ». Mais on ne dit pas comment ils y
arrivent.
Pour cette sortie rapprochée, c’est une idée du Lombard qui nous a dit que cela pourrait rassurer le public de savoir que les trois tomes existent déjà. Je tiens d’ailleurs à les
remercier d’avoir gardé notre travail sous le coude aussi longtemps.
Mais s’il est possible de ne pas passer à autre chose, j’en serais ravi. J’aimerai bien faire un long bout de route avec Ange.
Pourquoi as-tu travaillé sur ce projet avec Joël ? Comment avez vous collaboré ?
L’histoire de Klaw été déjà bien avancée quand Joël m’a proposé de bosser avec lui. Et il a fait les trois premières pages très vite. Si bien qu’on a présenté le projet en un temps
record. Et l’acceptation par Le lombard s’est fait encore plus vite. Du coup, on a avancé comme je le disais tout à l’heure : avec 5 pages d’écart ! Ce qui a fait que j’ai vécu quatre ans avec
Ange et toute la troupe. Comme Joël n’habite pas près de chez moi, tout s’est passé grâce à la magie du web.
Qu’est ce qui fait la particularité d’une collaboration avec lui ? Quelle est sa force ? Ses faiblesses ?
Joël est assez facile à vivre. Je lui envoie un découpage écrit, et il tombe une super page très dynamique. Ses persos ont une force incroyable. Donc tout coule de source. Sa seule
faiblesse est de douter de lui de temps en temps. Il vous montre un dessin formidable et il vous demande si ça peut aller.
Tu as travaillé avec Casterman, Soleil, Ankama et beaucoup d’autres et toc !!! cette fois-ci avec Le Lombard. Pourquoi ?
Pour le Lombard, ça vient des contacts de Joël. Je connaissais Pôl du temps où il était libraire. Les retrouvailles ont été faciles. Et puis pour un projet comme ça, il faut un éditeur
qui y croit. Pôl a été super dans le rôle. Par la suite, tout le staff du Lombard s’est montré plus qu’à la hauteur. Ça a été une super expérience.
C’est d’ailleurs pour ça que de temps en temps, je vais « picorer » chez un autre éditeur : pour voir comment ça se passe ailleurs. Mais je suis d’un naturel fidèle. Donc, je favorise
toujours les éditeurs avec qui j’ai déjà travaillé et avec qui ça s’et très bien passé.
Quels sont tes maîtres dans ton domaine ? Qui t’a inspiré ? Et dans les dessinateurs ?
Ils sont très nombreux à m’avoir mis des claques ! Makyo, Letendre, Yann et Benoît Peeters pour commencer. Mais mes « maitres » pour le scénario ce sont Carlos Trillo et Peter Milligan.
J’aime leur façon de rythmer leur récit.
Après, il y a Le maitre. Celui qui se permet de dessiner aussi bien qu’il écrit : Andréas ! Ce type est un génie. Il ose vraiment tout.
Pour les dessinateurs, ça va vite devenir un hall of fame ! Je n’en citerai donc que trois : Horacio Altuna, Duncan Fegredo et Riff Reb’s. Mais il y en a plein d’autres.
Si tu devais emmener 5 BD sur une île déserte lesquelles prendrais tu ?
On a le droit aux intégrales ? En tout cas, je vais tricher, je ne parlerai pas de ceux que j’ai déjà cité (sinon, il va y en avoir que pour Andreas et Altuna).
Donc : Perramus (Breccia), Cages (Mc Kean), Trait de craie (Prado), Murmure (Mattotti) et Silence (Comès).
L’Ombre blanche que tu as travaillé avec Antoine Carrion sort ce mois-ci également chez Soleil Productions. Peux tu nous en parler ?
Là encore, c’est la tentation de faire une série. Le premier cycle est de deux albums. Avec une vraie fin. Mais l’univers mis en place est assez large pour que l’on puisse aller très
loin.
C’est mon quatrième album avec Antoine Carrion (aka Tentacle Eye). Je crois que nous sommes arrivés à un moment dans notre collaboration où nous nous connaissons assez pour tenter des
choses plus ambitieuses du point vu développement. Pour cette histoire, Antoine m’a demandé de faire un récit d’Heroic fantasy. Comme je crois vraiment ne rien à avoir à raconter sur le sujet,
j’ai dit oui en faisant un récit sans héroïsme et sans fantasy… Cela donne une histoire médiévale un peu brute, sèche.
Quels sont tes projets à venir ?
Pour cette année, il y a donc la suite de L’ombre blanche et celle de Klaw. Il y aura aussi un album chez Daniel Maghen réalisé aussi par Antoine Carrion. Il s’agit de Temujin. Une
relecture de la naissance de Gengis Khan. Là encore, il est question d’identité des personnages puisque notre Temujin n’est pas Gengis Khan. Le récit est orienté « initiation shamanique
»…
L’année prochaine, ça sera le retour des one-shots et du polar. Puisqu’il y aura 3 polars bien rudes. L’un avec Rica (avec qui j’avais déjà fait e dans l’eau) et les autres par des
dessinateurs étrangers pas encore connus chez nous mais qui risquent fort de marquer les esprits. Il devrait y avoir aussi un ovni dessiné par Lelis (auteur avec qui j’ai fait
Last Bullets)…
Mais en fait, je suis déjà en train de préparer 2015 ! Et là, il va y avoir des surprises ! Avec des récits ou la poussière se disputera la place avec le sang ! Et aussi une petite
perle au Lombard avec Julia Bax qui réalisera tout un album à l’aquarelle…
Et bien nous reparlerons de tout cela avec plaisir. Merci Antoine pour tes réponses et à bientôt donc pour découvrir tes réalisations futures.