Oncle Fumetti continue sa «promenade » au sein du monde du 9ème art,
questionnant deça delà les acteurs de ce milieu riche...Aujourd hui Vincent Henry éditeur mais aussi gérant de
la Boîte à Bulles...
Bonjour Vincent Henry. Vous êtes le gérant de La Boîte à Bulles,
un éditeur de Bandes Dessinées. Présentez nous votre maison. Que publie-t-elle ? Quels genres d'albums , Quels publics souhaitez vous toucher ? Combien d'albums par an publiez vous
?
Bonjour. Je suis certes le gérant de la B à B mais surtout son éditeur ! C'est cette activité qui prend l'essentiel de mon temps depuis que je travaille
avec une administratrice hors pair...J'ai créé la B à B en 2003 avec l'intention de publier de jeunes auteurs, proposant des bandes dessinées plutôt destinées aux adultes,
centrées autour de l'intime, le quotidien, le voyage, la poésie, le témoignage, l'humour irrévérencieux, avec des graphismes si possibles originaux...Nous publions environ 20 ouvrages
par an. Parmi ceux-ci, une bonne moitié d'oeuvres de "non fiction" comme disent les anglophones. Dont une partie, depuis 2012, *sous forme de "carnets de reportages" et pas
seulement de pure bande dessinée. Nous avons également développé depuis 4 ans, autour de la série de L'Ours Barnabé, une collection de bandes dessinées jeunesse, à double niveau de
lecture : La Malle aux images. J'ai le sentiment que notre public est fait de lecteurs curieux, souvent militants, plus féminin que celui de la bande dessinée traditionnelle. Mais nous
ne visons pas un public bien déterminé. La majeure partie des lecteurs choisissent leur livre en raison d'un coup de coeur pour le dessin, pour un auteur, en fonction du thème
développé, de la critique lue dans un magazine... Rares sont ceux qui connaissent ou identifient le catalogue de l'éditeur, en fait...
Comment s'est déroulée votre année 2013 ? Est-ce qu'une maison comme la
vôtre ressent le marasme économique et comment ?
L'année 2013 s'est déroulée comme un verre à moitié plein ou à moitié vide. Pour nos 10 ans et la sortie du dernier ouvrage de Nicolas
Wild, Ainsi se tut Zarathoustra, nous entretenions de bons espoirs d'élargir notre public. Et au final,
on a plutôt fait du surplace par rapport à 2012.
Difficile de dire si cela est lié aux titres publiés, à la "morosité ambiante" ou à
une polarisation des lecteurs sur un nombre de plus en plus limité de titres...Le verre à moitié plein, c'est qu'on a publié des livres bien accueillis tels que Zarathoustra, donc, mais
aussi par exemple Le Massacrede
Simon Hureau. Little Joséphinede Valérie Villieu et Raphaël Sarfati a reçu le
Prix oecuménique à Angoulême et le carnet de reportage Salaam Palestine a monopolisé une grande partie des prix du festival du Carnet de voyage de Clermont Ferrand, confirmant le bon
départ de notre
collection de carnets ! Et notre cher Ours Barnabé, le plantigrade dessiné par Philippe
Coudray, a profité de 2013 pour devenir célèbre aux Etats-Unis et en Chine...
Enfin, nous avons signé un accord de partenariat avec Amnesty International qui nous ravit ! Nous travaillons ensemble autour de cas documentés et suivis
par l'ONG tout en laissant une grande liberté aux auteurs. Cette collaboration donne ses fruits en 2014 avec Noxolode Jean-Christophe Morandeau (cas emblématique d'une femme homosexuelle violée et assassinée en Afrique du Sud), Panthers in
the holedes frères Cénou (Blacks panthers maintenus 40 ans à l'isolement
aux Etats Unis), Marais noirsd'Emmanuel Prost et moi-même (carnet sur les
populations et les évictions forcées au Nigéria).
Quelle est la difficulté pour une maison comme la vôtre ? Est-ce le cas
de tous les éditeurs du secteur et de votre taille ?
Je ne sais pas trop si on a tous exactement les mêmes problèmes...Mais j'imagine qu'ils doivent en grande partie se ressembler ! Au quotidien, ce qui est le plus
difficile, c'est d'effectuer
l'ensemble du travail nécessaire avec une équipe réduite. Publier un livre vendu à 1.000 exemplaires demande autant de travail que d'en publier un à
15.000 exemplaires ! Mais le confort matériel n'est pas le même pour l'auteur et pour l'éditeur !
Commercialement, on a l'impression de devoir faire nos preuves à chaque livre, nous battre à chaque instant pour que le livre ait un peu de visibilité,
qu'il ait sa chance en librairie. Nos livres ont des placements mécaniquement inférieurs à ceux des plus gros éditeurs, ils sont donc moins visibles. On a donc l'obligation de
susciter l'envie chez certains lecteurs, de réussir à toucher les lecteurs potentiellement intéressés par le livre, son thème, son auteur. Pas évident ! Heureuse-ment que nous
pouvons compter sur la curiosité de nombre de journalistes et sur la bienveillance de nombre de libraires !
Quelle est votre ligne éditoriale ? Comment choisissez vous vos auteurs ?
Notre ligne éditoriale n'a quasiment pas varié depuis 8 ans : on se concentre même de plus en plus sur ce qui fait le
coeur de notre catalogue, l'intime, le témoignage, l'autobiographie, l'ironie, la poésie...Comme nous avons le bonheur que les auteurs déjà publiés reviennent régulièrement nous proposer de nouveaux projets, nous n'avons pas forcément besoin de de dénicher de nouveaux talents pour compléter notre programme de
parution. Pour autant, je trouve important de donner chaque année leur chance à de nouveaux auteurs. Car c'est une des vocations de notre maison d'édition et car cela nous évite de
nous scléroser. En ce début d'année, par exemple, nous avons publié Superman n'est pas juif d'Emilie Boudet
et Jimmy Bemon... Au global, sur les 98 auteurs de BD avec lesquels nous avons travaillé, plus de la moitié (53 exactement) ont publié chez nous leur premier livre ! Nous recevons
chaque année par mail environ 500 à 600 propositions de nouveaux projets et nous n'en retenons malheureusement que... 3 ou 4 ! Le reste de nos parutions, ce sont des ouvrages
d'auteurs déjà publiés chez nous ou avec qui nous discutons depuis quelques temps déjà. Les nouveaux auteurs sont choisis en général au travers du projet qu'ils nous proposent, de sa
qualité et de son adéquation avec notre ligne éditoriale. Mais l'aspect humain joue aussi. On a plus de plaisir à travailler avec des auteurs sympas et qui interagissent
positivement avec nous sur leur projet. En effet, nous considérons super important de suivre l'auteur dans son travail de création et de pouvoir échanger avec lui.
Un de vos livres a été sélectionné au dernier festival d'Angoulême "Ainsi se
tut Zarathoustra" de Nicolas Wild. Comment un éditeur vit ce moment important de l'année pour la profession ? Que ressent-on quand un de ses livres est sélectionné
?
Un livre sélectionné à Angoulême, c'est tout un tas de choses à la fois ! Un plaisir tout d'abord, partagé avec l'auteur. La reconnaissance du talent de son
"protégé"... Une opportunité commerciale évidemment, limitée mais réelle. De la notoriété pour l'oeuvre mais aussi plus globalement pour le catalogue de l'éditeur. On tremble
donc chaque année en découvrant la liste des ouvrages sélec-tionnés. Plus important encore, bien entendu, c'est d'obtenir un Prix Intrus à l'étrange de
Simon Hureau a bien profité de son Prix angoumoisin, doublant ses ventes et agrandissant l'aura de son auteur.
Mais même des prix jugés plus mineurs comme le Prix du jury oecuménique ont un impact pour nous. Sans doute bien davantage que pour un éditeur plus connu.
Ainsi Little Joséphinede Valérie Villieu et Raphaël Sarfati a vraiment gagné en visibilité après le
Prix reçu en 2013.Pour Ainsi se tut de Zarathoustra, nous sommes fous de joie qu'il ait reçu le Prix France Info juste avant Angoulême. Si jamais il figurait au palmarès d'Angoulême,
ce serait pour lui le double effet kiss cool !!!
Est-ce que le FIBD est l'occasion de rencontrer son public ? des dessinateurs ? D'espionner la concurrence ?
Le salon d'Angoulême constitue l'occasion avant tout de rencontrer quelques uns de nos lecteurs et de retrouver nombre de nos auteurs avec qui on a une
relation essentiellement virtuelle le reste de l'année ! On espère aussi pouvoir décrocher quelques articles de presse et avoir l'occasion de mettre un visage sur les signatures de
quelques journalistes. Et aussi de réussir à couvrir les dépenses liées au festival en vendant quelques livres ! Sourire.
On en profite aussi pour rencontrer les éditeurs étrangers présents afin de leur vendre et de leur acheter des droits...Pour ce qui est de nos "concurrents", il
suffit en fait de se rendre en librairie pour connaître sa production. Nul besoin de les espionner pour cela ! Donc Angoulême représente surtout une
occasion de discuter avec les confrères présents, de partager nos états d'âme, de comparer nos situations...Quant aux auteurs, je dois avouer qu'en 10 éditions, je me souviens
tout au plus de 2 contacts initiés à Angoulême qui ont ensuite donné lieu à publication. En général, les auteurs intéres-sés par notre catalogue nous contactent par internet.
Les auteurs qui démarchent lors du Festival sont rarement les mieux informés et les dossiers qu'ils nous présentent sont soit pas au point, soit par
pour nous !
Par comparaison, le festival du carnet de voyage de Clermont Ferrand, bien plus modeste, joue un rôle beaucoup plus fondamental dans la mise en relation
des auteurs avec les éditeurs : à chaque édition, ce sont 2 ou 3 projets de carnets qui voient le jour... Peut-être car il est encore plus difficile de se faire publier pour un carnet
de voyage que pour une BD ? Car la B à B n'était pas encore très connue dans ce registre de publication ? En tout cas, les Clermontois organisent des rencon-tres auteurs / éditeurs
particulièrement intéressantes... Merci à eux !
Qu'attendez vous de l'année 2014 ?
Avant tout de continuer à publier de bons bouquins ! Commercialement, pas grand chose en fait... J'espère que certains livres trouveront leur public et nous
permettront de passer une année
financièrement correcte. Mais je n'ai aucune certitude sur son déroulement, d'autant que l'on ne proposera pas cette année de nouveautés signés de nos
"meilleurs vendeurs". Espérons une belle surprise ! 2014 sera tout de même un peu spéciale pour moi car je publierai 2 ouvrages dont je suis moi-même le
scénariste : un carnet de reportage au Nigéria et une bande dessinée jeunesse... Je passe de l'autre côté de la barrière...
Quelles vont être les mutations importantes pour une maison comme la vôtre ? Est-ce aller vers plus de numérique ? Est-ce maîtriser
autrement la diffusion et la distribution ? Est-ce tenter un coup ? D'ailleurs peut-on modifier facilement une ligne éditoriale et aller chercher "l'air du temps"
?
Je n'envisage pas de mutation cette année. On a créé ces dernières années une collection jeu-nesse, une collection de carnet de voyage. Notre sillon est
là, il faut qu'on continue à le creuser.
L'air du temps, je ne pense pas qu'il faille courir après. D'abord parce que ça donne des livres formatés, qui se répètent à l'infini
jusqu'à l'indigestion. Ensuite parce qu'à chercher à le capter, on fait la girouette et on perd toute identité. Il se trouve que nous avons depuis nos débuts une collection de BD
de "non fiction", "Contre-coeur", et que la BD reportage est désormais passée dans l'air du temps. Si cela peut nous servir, j'en serai ravi
! En espérant que le créneau n'attire pas trop de monde tout de même ! Sourire.Donc si on réussit un "coup", ce sera dans notre registre à nous...
Quant au numérique, il reste très marginal à ce jour... Nous n'y investissons donc pas beaucoup de notre temps si précieux pour le moment...
A titre personnel quel aura été votre coup de coeur 2013 dans le monde de la BD ?
Quand j'étais journaliste, je trouvais lamentable ces professionnels de la BD qui peinaient à parler de leurs dernières lectures BD. Et vlan, voilà que je
suis moi-même pris à ce piège. Je lis chaque mois des dizaines de BD en devenir et du coup, j'ai un peu de mal à en lire aussi
le soir, ça me rappelle le boulot ! Je continue pourtant à en acheter et j'ai du coup une grosse pile de nouveautés à lire qui traîne dans le salon... Je
vais m'y remettre, promis !
Promesse sera tenue à n'en point douter. Merci Vincent Henry pour vos passionnantes réponses et à bientôt
avec Oncle Fumetti.