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14 octobre 2014 2 14 /10 /octobre /2014 07:00
Johnson m'a tuer chez Futuropolis : Interview de Louis Theillier

Louis Theillier a sorti un livre très particulier chez Futuropolis «Johnson m’a tuer». Nous avons chroniqué l’album et comme souvent, nous avons souhaité en savoir plus… Questions et réponses.

Qui êtes-vous Louis Theillier ? Présentez-vous mieux aux lecteurs de ce blog ?

Je suis Bruxellois d'adoption depuis 2002, où après les Beaux-Arts, j'ai commencé une «carrière» d'artiste plasticien. Mais le besoin d'argent, couplé à une curiosité pour la «normalité» m'ont vite amené à découvrir le monde du travail salarié, en parallèle à mes pratiques artistiques.

En 2006, j'entre dans la multinationale Johnson Matthey en tant qu'ouvrier intérimaire. Je resterais 5 années dans cette usine, où mon moi-artiste s'estompe progressivement pour plonger comme «tout-le-monde» dans la Grande Léthargie... Jusqu'au jour où la direction annonce la fermeture de son site et le licenciement de mes 300 collègues, et que je prends le bic en main...

Vous avez donc publié « Johnson m’a tuer » chez Futuropolis. C’est un roman graphique de combat, très journalistique. Présentez-le nous et dites-nous comment vous est venue cette idée, ce concept si particulier.

Je m'improvise BD reporter dès le début du conflit social, au départ pour faire face à une multinationale qui bat des records de production, bénéficie de millions d'euros d'aides publiques pour pérenniser l'emploi, mais qui a décidé de délocaliser sa production en Macédoine, vers toujours plus de profits, aux dépends des travailleurs.

Faisant le constat du déficit de représentation des travailleurs, et du fait que notre situation est particulièrement représentative de la crise morale globale qui touche nos dirigeant, publics comme privés, je me mets à créer en temps réel le journal de bord de l'usine en lutte, d'abord sous forme d'un blog, puis une micro-édition et vite relayé par les médias belges. La version définitive de cette expérience humaine et graphique a été éditée par Futuropolis en 2014.

Johnson m'a tuer chez Futuropolis : Interview de Louis Theillier

Comment est-ce que cela vous est venu ? Oncle Fumetti sait maintenant que vous êtes un ancien des Beaux-Arts et puis ouvrier chez Johnson mais comment devient-on à la fois, dessinateur, scénariste, journaliste et compagnon de lutte ?

Le sujet était très complexe, multiformes, et j'avais le besoin de le mettre sur papier pour comprendre. Dans ces entreprises très sécurisées, on ne peut rien amener de l'extérieur, ma seule façon de documenter ce qui se passait était d'utiliser les bic et les feuilles A4 utilisées sur place, et donc le format BD s'est vite imposé comme média grand-public, attractif, original.

Après, pour la réalisation, j'ai vraiment réagi à chaud, dans l'urgence, et tout le processus de travail s'est mis en place à l'instinct, de façon organique. Le fait d'avoir été au pied du mur, finalement ça à fait gagner beaucoup de temps! Recueillir les témoignages, synthétiser toutes les situations vécues, les mettre en image, créer des mise en pages,...je n'ai jamais autant travaillé chez JM !

Sur ce projet incroyable qu’avez-vous été le plus ; journaliste, ouvrier, artiste ?

Je dirais observateur actif.

Comment arrive-t-on à prendre de la distance avec les événements quand on est acteur et narrateur dans le même temps ? Est-ce que vous avez voulu être dans la dénonciation ou avez-vous eu un regard distancié sur les événements ?

J'avais besoin justement de prendre du recul, et l'art permet cela, représenter c'est arriver à digérer la situation vécue. Mon travail était de réunir, de rendre compte de ce qui se passait concrètement, donc de la façon la plus juste et la plus fidèle à la réalité, sans tenter de faire une propagande, parce qu'il n'y a rien à ajouter, tout est là et le lecteur peut faire le constat de la situation.

Quels regards vos compagnons de lutte ont-ils porté sur votre œuvre ? Ont-ils adhéré ?

Très contents et surpris dans l'ensemble, c'était une éclaircie dans la grisaille du quotidien au sein de l'entreprise. j'étais un peu l'artiste de l'usine, et j'ai pu démontrer mon utilité ! Le livre est naturellement construit sur la base d'observations et d'écoutes de mes collègues, de croquis faits sur place. Ils savaient qu'ils allaient être représentés dans une BD, même si on ne savait pas que ça serait publié !

Johnson m'a tuer chez Futuropolis : Interview de Louis Theillier

Quel a été l’accueil de l’éditeur, Futuropolis ; sceptique ou enthousiaste ? Et qu’est ce qui l’a décidé à vous publier selon vous ?

Futuro à vite adhéré au projet, qui est proche de leur ligne éditoriale, plutôt axée sur le réel, le témoignage, le vécu. Ils m'ont laissé carte-blanche pour la réalisation de l'album. J'ai voulu redessiner et étoffer l'ensemble de la version initiale... il y a la phase à chaud (toujours visible sur www.johnsonmatuer.blogspot.be ), et la phase à froid !

Dans un tout autre ordre d’idée, quels sont vos modèles dans le monde du 9ème art ? Est-il plus humain ou plus solidaire que le monde de l’usine et très différent de celui des multinationales ? Il y a aussi une logique économique non ?

Je ne suis en fait pas un grand connaisseur en bd, mais j'aime la bd indépendante, les maitres comme Crumb, Harvey Pekar, Munoz et bien sûr Joe Sacco.

Même si le monde de la bd parait très sympa, il est aussi un domaine capitaliste comme un autre, même encore plus libéral, les conditions de travail sont de plus en plus invivables, et beaucoup d'auteurs renoncent.

Parlez-nous du projet « Médor ». On sait qu’il vous tient à cœur. De quoi s’agit-il ?

Médor n'est pas un chien, c'est le premier trimestriel coopératif belge d'investigation et de récits. Être structuré en coopérative permet des conditions de travail décentes pour les journalistes et créateurs visuels. Le premier numéro est prévu pour fin 2015! Et nous recherchons activement des financements, des abonnés et des coopérateurs. Venez voir notre site: www.medor.coop


Etes-vous définitivement de retour dans le monde du 9ème art ou n’est-ce qu’un passage ?

J'aimerais beaucoup continuer à faire de la BD, j'ai pleins de projets ! Je cherche à développer un travail de BD informatif permettant de mettre en lumière des combats d'aujourd'hui, et vulgariser des enjeux de sociétés. ... Je manque juste de temps ! Je pense concrétiser un certain nombre de projets au sein de ce superbe pari qu'est Médor! Je vous invite d'ailleurs à nous soutenir sur www.medor.coop

Merci Louis Theillier pour le temps que vous nous avez consacré et pour vos réponses. Longue vie à Médor !!! Nous suivrons cela près.

Johnson m'a tuer chez Futuropolis : Interview de Louis Theillier
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