Bonjour François Le Bescond, vous êtes le Directeur éditorial adjoint de Dargaud. Nous voulons en savoir plus sur votre métier et sur ce qu'est le domaine éditorial dans le monde de l'éditions de BD.
Quel est le rôle d'un Directeur éditorial ? Dans quelles domaines intervient-il et pourquoi ? Est-ce différent d'un directeur de collection ?
Un directeur éditorial ou un directeur de collection sont tous deux éditeurs, c'est juste une différence subtile : le directeur éditorial est le supérieur hiérarchique. Dans l'absolu un directeur de collection s'occupe de certaines collections précises, mais chez nous la notion de collection n'existe pas vraiment, on parle plutôt de séries. Fondamentalement les éditeurs regroupés dans le comité éditorial lisent et choisissent parmi les projets qu'ils reçoivent chaque jour ou sont à l'origine de projets en proposant à des auteurs des sujets ou en "mariant" des auteurs entre eux, comme cela a été le cas avec Marion Montaigne et les sociologues Pinçon-Charlot sur l'album Riche pourquoi pas toi ? Les éditeurs accompagnent ensuite les auteurs dans leur travail de création jusque la parution de l'album. Dans la pratique le champ d'intervention de l'éditeur est beaucoup plus large et complexe : il doit négocier les contrats avec les auteurs, il doit avoir un regard artistique (l'essence même du métier), il est amené à communiquer avec tous ceux qui vont travailler sur les livres : le chef de fabrication, l'attachée de presse, le webmaster, le marketing et le commercial, les droits étrangers, le diffuseur, etc. Bref c'est extrêmement varié et du coup passionnant.
Définissez nous ce qu'est une ligne éditoriale ? Pourquoi est-il nécessaire d'en avoir défini une ? Pour combien de temps est-ce défini et pourquoi ?
Je préfère parler de philosophie éditoriale. C'est un mélange de notre histoire, un héritage que l'on doit aux auteurs et aux éditeurs qui sont passés avant nous chez Dargaud à commencer par René Goscinny et Guy Vidal pour lesquels j'ai un immense respect. Le passé, donc, mais aussi le présent et la vision que l'on a d'une maison comme la notre qui existe depuis longtemps. Cela ne se résume pas à une équation mathématique, rien n'est figé, rien n'est écrit dans le marbre, il est toujours difficile d'expliquer ça en fait car c'est un ressenti dû à des convictions (plutôt qu'à des certitudes…).
Sachant qu'une ligne éditoriale se décide tôt et que vous signez tôt avec
les auteurs, N'est-il pas risqué de fonctionner en se limitant à un type rédactionnel ?
Dargaud est depuis longtemps un éditeur généraliste qui s'explique par le journal Pilote qui a posé les fondements d'une vision large. Pilote c'était Reiser à côté de Tanguy & Laverdure, Fred à côté de Blueberry, Druillet à côté de Valérian ou Bretécher à côté de Barge Rouge ! Un mélange de grands classiques avec des auteurs au regard plus personnel, plus décalé, plus moderne diront certains. Cette ouverture perdure et permet d'accueillir une génération d'auteurs aux personnalités souvent très différentes, c'est ça qui fait notre richesse éditoriale. Par contre on veille à avoir une forme de cohérence et une réelle exigence dans ce que l'on fait .
Est-ce que le choix des dessinateurs est fonction de cette ligne ? Doivent-ils obligatoirement s'y adapter ?
Non, nous décidons en fonction d'un projet proposé par des auteurs qui choisissent les thèmes abordés et la façon de le faire. On sait assez vite si ce sera pour nous ou pas mais ce sont les qualités intrinsèques d'un projet qui font la différence surtout que, encore une fois, le catalogue de Dargaud est suffisamment généraliste pour accueillir des choses très différentes. Quand un projet nous plaît on discute alors avec l'auteur de façon plus détaillée. Il faut savoir que la relation humaine est fondamentale dans notre métier, l'envie de travailler avec certains auteurs est souvent aussi liée à cette relation dans le travail.
Comment s'y prend-on pour créer de l'homogénéité dans ce travail éditoriale entre les différents albums ?
C'est en amont que cela se fait, une fois le projet déterminé. Ensuite l'album concrétisera tout ce travail accompli avec les auteurs.Nous passons aussi beaucoup de temps à définir quelle sera la forme et pas seulement le fond : quelle maquette ? Quel papier ? Quel format ?… C'est discuté au cas par cas.
Est-ce que cela ne disqualifie pas certains artistes ? La porte est-elle fermée aux créateurs qui voudraient vous proposer un projet personnel ?
J'y ai répondu : nous sommes ouverts à tout ou presque mais les auteurs envoient leur projet aux éditeurs qu'ils choisissent eux mêmes.
Soyons concrets ...Quel est (sont) la (les) lignes éditoriales de Dargaud si ce n'est pas secret ?
Idem, j'y ai répondu : chez Dargaud il s'agit d'une philosophie éditoriale générale, rien n'est écrit, rien n'est figé, rien n'est secret.
A titre personnel, quel livre vous aura marqué en 2013 ? Pourquoi ?
Comment ne citer qu'un seul livre ?.. Il y en a tant que j'aime, y compris chez d'autres maisons d'édition. En fait si : Un Magnéto dans l'assiette de Fred car c'est un livre d'entretiens que j'ai fait avec Fred, c'est une histoire d'amitié qui remonte à 24 ans ! Pendant plusieurs années nous faisions une rubrique dans feu le magazine La Lettre, le principe était que Fred racontait à chaque fois une anecdote sur son travail, sa vie. Plus tard Fred a souhaité, alors que nous préparions l'ultime album de Philémon, que ces entretiens soient réunis dans un ouvrage. Il a lu les dernières épreuves au début de l'année 2013, il en était très fier mais il était très fatigué. Ils nous a quittés le 2 avril 2013, quelques semaines avant que l'album ne soit imprimé, à l'âge de 82 ans. Il est évident que cet album a pour moi une valeur particulière….
Quel livre vous marquera en 2014 ? Lequel attendez-vous avec impatience ?
Il y en a beaucoup... Au moment où je vous parle je viens de relire les épreuves de deux albums qui ne vont pas tarder à sortir : La Banque qui est une saga familiale passionnante dans le monde de la finance par Pierre Boisserie, Philippe Guillaume et Julien Maffre et Une année au lycée, un album drolissime signé Fabrice Erre autour de son autre métier : professeur d'histoire & géo ! Ces deux livres concrétisent justement une collaboration avec des auteurs que j'ai envie de défendre et d'accompagner.
Sous le nom de Dargaud trois livres sur trente cinq étaient dans la sélection
officielle du 41ème Festival d'Angoulême. La concurrence était de qualité il est vrai avec beaucoup de petits éditeurs très présents. C'est bien ou pas assez ?
2 livres sur 35 étaient en fait dans la sélection officielle puisque, et je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi, Tyler Cross était dans la catégorie polar qui ne fait pas partie de la sélection officielle… Si vous me demandez si le fait que Dargaud avait deux livres sur 35 est suffisant, ne comptez pas sur moi pour vous dire oui… Et au final il y en a aucun qui a été retenu parmi les indispensables, c'est le choix du jury….
Qu'est-ce qui différencie ces trois livres (Paco les mains rouges, Saga et les voleurs de Carthage) ?
Saga (qui est une excellente série) est éditée chez Urban Comics qui fait partie du "groupe" Dargaud, il est vrai. Paco les mains rouges (que j'ai suivi en tant qu'éditeur) et Les Voleurs de Carthage sont les deux albums de Dargaud retenus dans la sélection officielle, ils sont effectivement deux super bouquins. Chacun de ces livres possèdent ses propres qualités dues aux talents de Fabien Vehlmann et Eric Sagot pour le premier et Hervé Tanquerelle et Appollo pour le second.
Dans la sélection jeunesse, c'est deux sur douze pour Dargaud et 4 sur
12
pour le Groupe Média Participations. Est-ce là votre vrai marché, le signe de
votre savoir-faire ?
Dargaud n'a eu que deux albums, une nouvelle fois, dans la sélection jeunesse : Le Monde de Milo et Battling Boy qui a été fait en co-édition avec Urban Comics (l'auteur étant l'Américain Paul Pope).Là encore aucun n'a été récompensé. Et autant les éditions Dupuis ont un savoir faire qui remonte à longtemps dans ce que l'on appelle la jeunesse (ou le "tout public" grâce notamment au Journal de Spirou), autant Dargaud est historiquement plus présent sur la bande dessinée ado-adulte. Encore une fois !'héritage de Pilote qui fut le premier magazine de BD pour adultes !
Merci beaucoup François Le Bescond pour ces réponses. A bientôt avec Oncle Fumetti.