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13 janvier 2017 5 13 /01 /janvier /2017 17:00

François Le Bescond est Directeur Editorial Adjoint chez Dargaud. Le regard et la sensibilité qu’il porte sur le monde de la BD sont ceux d’un passionné et d’un expert. Il est un habitué du blog d’Oncle Fumetti.

Bonjour François. Comment se porte la Bande Dessinée qui vient de perdre un de ses grands anciens en la personne de Gotlib?

Pour nous, chez Dargaud, cette disparition fut un coup très dur même si on s’y préparait un peu... On a parfaitement conscience de ce que Gotlib a apporté à la bande dessinée, ce que qu’on lui doit tous. René Goscinny, grâce au journal Pilote, lui avait ouvert les portes et cette collaboration avec Dargaud a duré de très longues années et les liens n’ont jamais cessé d’exister. Marcel était vraiment un immense artiste, quelqu’un extraordinairement attachant et drôle alors qu’il se qualifiait lui-même de grand dépressif qui se soignait par l’humour… Je conseille à tout le monde de lire et relire ses albums dont sa biographie J’existe, je me suis rencontré qui permet de mieux comprendre quelle fut sa vie. A titre personnel il a fait partie des auteurs qui m’ont donné le goût de la bande dessinée : Gai Luron, Rubrique à brac, Les Dingodossiers, Hamster Jovial m’ont par exemple profondément marqué, jamais je ne pourrai effacer ça.

Et pour enchainer comment se porte l’éditeur Dargaud ?

L’année 2016 s’est bien terminée malgré un contexte global toujours aussi agité, nos résultats sont conformes à ce que nous attendions. L’énorme travail réalisé avec les auteurs autour de leurs albums, même s ’il ne se voit pas toujours de l’extérieur, a globalement porté ses fruits. On continuera, soyez-en certain !

Quelles auront été les sorties les plus importantes pour Dargaud cette année ? Forcément les locomotives en terme économique mais y a t-il eu des surprises ? Des paris réussis ?

Les « locomotives » sont autant des projets éditoriaux que les albums à petits tirages. Le travail accompli par exemple autour de Blake & Mortimer ou Lucky Luke, qui ont été deux moments forts de l’année, ne sont pas uniquement une réalité économique même si c’est une composante importante. 2016 a été l’année des 70 ans de Lucky Luke qui a mobilisé beaucoup d’énergie et d’envie avec la sortie d’un beau livre, L’Art de Morris, qui a permis de mettre en avant le génie graphique de Morris. Une très belle exposition où l’on pouvait enfin voir de nombreux originaux a eu lieu au Musée d’Angoulême, en partenariat avec le FIBD, et nous avons sorti exceptionnellement trois albums : la nouveauté Lucky Luke par Jul - qui est parfaitement dans l’esprit de Goscinny - et Achdé, L’Homme qui tua Lucky Luke par Matthieu Bonhomme qui a ainsi rendu son hommage à ce personnage ainsi que le drôlissime Jolly Jumper ne répond plus vu par Guillaume Bouzard, finalement sorti en janvier 2017.Tout ce travail éditorial a permis de mettre la lumière sur un des trésors de notre 9ème art. Un des moments forts aura aussi été la parution de La Légèreté par Catherine Meurrisse, un album poignant dont la charge émotionnelle est évidente après les attentats de Charlie. Catherine est allée au fond d’elle-même, signant un témoignage finalement plein d’espoir. Il y a eu beaucoup d’autres bonnes surprises ou de paris réussis comme S’Enfuir par Guy Delisle, Ce qu’il faut de terre à l’homme par Martin Veyron, L’Eté Diabolik par Smoldoren et Clérisse, Tebori par par Robledo et Toledano, Le Mystère du monde quantique par Mathieu Burniat et Thibault Damour, Filles des oiseaux par Florence Cestac, Ma vie de réac par Morgan Navarro, Amazonie par Leo, Rodolphe et Marchal, Musnet par Kickliy, Le Problème avec les femmes par Jacky Fleming, Le Petit livre de la black music par Bouhris et Brüno, Le Loup en slip par Lupano, Itoïz et Cauuet, etc, etc. Et je ne parle ici que des tomes 1 ou one shot car on pourrait y ajouter bien des titres dont la conclusion du Rapport de Brodeck par Manu Larcenet, une œuvre marquante.

François Le Bescond Directeur Editorial Adjoint Chez Dargaud : L'interview 2017

Pour élargir la question à l’ensemble de la BD y a t-il des sorties chez vos collègues qui vous ont rendu envieux ?

Il y a heureusement de très bons albums qui sortent chez nos concurrents ! Shangri-La de Mathieu Bablet, Le Carrefour de Charlet et A. Floc’h, Demi-Sang de Gatignol et Hubert, Maggy Garrisson de Oiry et Trondheim, Les Voyages d’Ulysse de Lepage, L’Arabe du futur de Riad Sattouf, Martha & Alan de Guibert sont par exemple des albums parus en 2016 que j’ai vraiment appréciés. Il y en a forcément d’autres !

 

Puisqu’ une génération s’éloigne et que la nature a peur du vide, quels sont les leaders de la génération montante tant chez les scénaristes que chez les dessinateurs ?

 

Il y a un éternel renouveau, je ne suis pas certain que l’on puisse parler d’une génération montante identifiable et je me garderai bien de citer des noms.

 

Pour que les lecteurs y trouvent leur compte et pour qu’il y ait un renouvellement du 9ème Art, est-ce que les éditeurs ne passent pas trop de temps à gérer le catalogue patrimonial au détriment du lancement de jeunes talents ? N’y a t ’il pas trop de sorties d’intégrales ou de reboots au détriment de la création pure ?

 

C’est beaucoup plus complexe que cela et la vérité change d’une maison à une autre, selon l’histoire de chacune et des philosophies éditoriales. Chez Dargaud, dont l’histoire est riche, nous devons forcément nous occuper de notre patrimoine, c’est une obligation, mais aussi penser à l’avenir en développant de nouveaux projets et en misant sur de nouveaux auteurs avec lesquels il y a une envie réciproque de faire des choses. J’insiste sur le fait que le fait de s’occuper du patrimonial ne se fait pas du tout au détriment du lancement de jeunes talents, bien au contraire, c’est justement ça qui permet à l’éditeur d’avoir un socle solide et de développer une nouvelle création. C’est un équilibre à trouver, ce que nous nous efforçons de réaliser depuis pas mal de temps. Le travail patrimonial est aussi une façon de préparer l’avenir, ce n’est pas antinomique car une œuvre doit pouvoir perdurer. Les intégrales patrimoniales sont clairement appréciées par la plupart des lecteurs attachés à leurs séries qu’ils apprécient et qui bénéficient ainsi d’une nouvelle mise en lumière. Même chose pour les reprises et reboots autour desquels il y a souvent une véritable attente. D’ailleurs quand des auteurs reprennent en main les destinées d’une série, c’est aussi un travail de création, malgré tout. Et il ne faut pas croire que les éditeurs sont obsédés par l’idée de développer des reprises à tout prix, faire des spin-off, etc. Nous refusons beaucoup de projets envoyés par des auteurs qui souhaiteraient faire des reprises de Philémon, de Blueberry, de Blake & Mortimer, de Lucky Luke, de Valérian, etc. Il faut que cela ait un sens et que nous respections le souhait des créateurs : Fred m’avait par exemple demandé qu’aucune reprise de Philémon soit réalisée après lui, nous respecterons cela surtout qu’à mes yeux cela n’aurait pas de sens, ce que partage son fils Eric. Quand Matthieu Bonhomme nous a proposé de faire son Lucky Luke, nous lui avions expliqué que ce n’était pas si évident, qu’il fallait attendre le bon moment, il l’a souvent rappelé dans les interviews. Il a fallu attendre les 70 ans de la série pour que le projet trouve un sens et Matthieu a pu réaliser cet album dont le résultat est à la hauteur du talent hors norme de cet auteur et de sa passion pour ce personnage. A propos de patrimoine, il faut bien sûr parler de la série culte Valérian de Christin et Mézières qui bénéficiera d’une nouvelle visibilité avec la sortie du film le 21 juillet 2016. Luc Besson, grand fan de Valérian depuis toujours, rêvait de faire cette adaptation, c’est enfin le cas et il s’est donné les moyens d’y arriver. Ce que l’on a pu voir à ce jour est particulièrement prometteur et excitant et on en a profité pour faire un travail éditorial de fonds sur la série avec les auteurs, Pierre Christin et Jean-Claude Mézières. J’ai été moi-même lecteur de Pilote et de Valérian, c’est vraiment génial de constater que l’écoute, l’envie et l’appétit des créateurs sont restés intacts, 50 ans après la première apparition de Valérian dans le journal !

A titre personnel quel livre aura été ton livre de l’année ? Chez Dargaud mais pas seulement.

 

C’est délicat de ne citer qu’un seul titre… J’ai malgré tout envie de mentionner S’Enfuir, récit d’un otage, de Guy Delisle. D’une part parce que cet ouvrage est remarquable, ce qui n’est pas une surprise quand on connaît le talent de l’auteur… D’autre part parce que cet album a une histoire particulière dans le sens où nous avions parlé de ce projet avec Guy il y a plus de dix ans déjà... Il faut savoir être patient dans ce métier ! Il s’est posé beaucoup de questions sur la façon de raconter cette histoire assez difficile, la captivité de Christophe André pendant 111 jours en Tchétchénie, il a tourné autour du projet pendant plusieurs années avant que les choses se mettent véritablement en place en 2013/2014. Ce fut un marathon (432 pages quand même !) et cela a été passionnant à suivre. Humainement aussi : Guy est quelqu’un de très attachant et ma première rencontre avec Christophe André a été un beau moment, c’est quelqu’un de très calme, très réfléchi, il a réussi à surmonter et digérer cette épreuve qui aurait pu être un traumatisme profond. J’aurais aussi pu citer le nouveau Gus de Christophe Blain qui est remarquable, mais celui-ci a pris du retard en 2016 et l’album sort seulement ces jours-ci.

 

A quoi peut-on s’attendre sur l’année 2017. Allez-vous nous présenter le nouvel Hergé ou le nouveau Pratt ?

 

L’année 2017 sera dans la continuité de l’année 2016, j’espère bien que de nouveaux auteurs émergeront durablement, on en reparlera… Dans l’actualité immédiate je voudrais quand même parler du nouveau livre d’Aude Picault, Idéal Standard. C’est vraiment l’album de la maturité, une histoire pleine de finesse et de sensibilité sur les relations hommes femmes et le désir d’une trentenaire de vivre en couple, j’espère que ce livre touchera les lecteurs comme il nous a touchés chez Dargaud !

 

 

Vous avez plusieurs albums sélectionnés à Angoulême chez Dargaud cette année. Tu nous les présentes ?

 

On a déjà évoqué La Légèreté de Catherine et L’Homme qui tua Lucky Luke de Bonhomme, deux albums d’une très grande qualité. On est aussi très heureux pour Martin Veyron de voir son album Ce qu’il faut de terre à l’homme figurer dans cette sélection, on pense que c’ est effectivement un ouvrage marquant dans la carrière de Martin. C’est drôle, intelligent, tragique, vraiment un album à découvrir pour ceux qui ne l’aurait pas encore lu. Il ne faut pas oublier L’Eté Diabolik d’Alexandre Clérisse et Thierry Smoldoren qui figure dans la sélection polar. Cela fait plaisir car ça fait de nombreuses années que l’on croit en Alexandre et ce travail finit par payer, la qualité des scénarios de Thierry y est aussi pour quelque chose ! La sélection de Musnet par Kickliy dans la sélection jeunesse est une bonne surprise surtout qu’il est compliqué d’imposer une série jeunesse qui prend en général plus de temps. Et, enfin, l’intégrale Harry Mickson de Florence Cestac fait partie de la sélection patrimoine, c’est mérité car Florence est une grande dame de la bande dessinée et là-aussi on l’accompagne depuis pas mal de temps, on espère bien que ça continuera encore longtemps ! Il y a enfin, dans la même catégorie, Time is money de Fred et Alexis, une édition complète en noir et blanc qui permet d’apprécier la maestria graphique d’Alexis et l’imagination sans limite du regretté Fred.

 

Et qui vois-tu gagner ?

 

Je n’en ai strictement aucune idée ! Vous avez peut-être des infos à ce sujet ? (rires)

Non aucunes (rires). Que le meilleur gagne. A bientôt François et merci.

 

François Le Bescond Directeur Editorial Adjoint Chez Dargaud : L'interview 2017
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