Comme souvent Oncle Fumetti aime bien connaître la genèse des oeuvres. La Belle Absente album sorti récemment n'échappe pas à la règle. Le Vieux se permet d'interviewer les deux auteures ; Constance Joly et Séverine Vidal. Bonne découverte.
Bonjour Constance. Présentez- vous ? Qui êtes vous ? Quel est votre métier ?
Pourquoi l'avoir choisi ?
Bonjour Oncle Fumetti. Je suis née la même année que Séverine Vidal, disons que je suis de peu son aînée… Et je ne dirai pas l’année, même si elle est jolie. Je suis coach d’auteurs et agent littéraire. J’ai ouvert ma petite agence il y a six mois, après 20 ans passés dans l’édition jeunesse (Seuil, Hachette, Intervista, Bayard). Après ces années passées aux côtés des auteurs, j’ai eu envie de poursuivre ce dialogue en indépendante, et de proposer aux éditeurs nos talents français. Mon métier ? Je l’adore : aider les auteurs à repérer les forces et les faiblesses de leurs textes, les accompagner dans le travail d’écriture et présenter les meilleurs manuscrits aux maisons d’édition. www.constancejolygirard.com
Vous êtes le coscénariste de La Belle Absente parue chez Les Enfants Rouges avec Séverine Vidal ? Parlez nous de ce travail ? Quels sont ses particularités et pourquoi ce thème ?
« La Belle absente » est une longue histoire. Séverine Vidal m’a appelée pour me proposer le projet d’adaptation d’un roman de Georges Perec : « Un homme qui dort ». Elle connaissait mon admiration pour cet auteur. Nous sommes donc parties sur ce travail, que nous avons présenté à un éditeur dont je tairai le nom. Après plusieurs RV, et un enthousiasme débordant, il nous a tout simplement plantées là. Le thème de la dépression, de la vacance intérieure, qui sont ceux d’ « Un homme qui dort », sont mal passés auprès des éditeurs qui le jugeaient trop triste. Mais pas question de s’arrêter là. Nous adorions déjà les planches de Barroux. Que faire ? Une idée oulipienne : leur faire raconter autre chose… C’est ainsi que nous avons gardé ce personnage qui marche à côté de sa vie, et que nous sommes parties dans le registre du roman noir. Il reste un soupçon de Perec dans ces pages : à travers son titre « La Belle absente », qui est une contrainte oulipienne (que nous avons glissée dans le texte), et à travers la dépression, à laquelle nous avons donné une voix, et une image : celle de l’ombre rouge qui suit le personnage principal.
Comment écrit-on un livre à «quatre mains » ? C'est forcément très différent d'une œuvre écrite seul. Comment concilie-t-on deux styles littéraires, deux imaginaires pour n'en faire qu'un ?
Le plus simplement du monde, en l’occurrence, et de façon très fluide, sans décision. Séverine a commencé, puis m’a envoyé des pages, j’ai enchaîné jusqu’à un certain point de l’intrigue, elle a pris la suite. Nous nous corrigions mutuellement, nous voulions arriver à ce que l’on ne discerne pas ces « coutures », et pourtant, pour qui est attentif, elles sont perceptibles. Je dirais que Séverine a un esprit de « bâtisseur », elle a des lignes plus fortes, une vraie fantaisie aussi, tandis que moi, suis peut-être plus attirée par l’ambiance et les détails. La première mouture que nous avions faite ensemble sur l’adaptation d’ « Un homme qui dort » nous a certainement aidées à unir nos deux styles autour de l’écriture de Georges Perec, très particulière avec ce procédé narratif incantatoire en « tu », qu’il s’agissait de faire entendre de façon nouvelle, en retranchant des passages, en en ajoutant d’autres. Nous avons pensé aux chansons de Fauve, par exemple, qui ont cette même adresse en « tu »… Puis, en procédant par le découpage, et en en creusant les silences pour donner le relais aux magnifiques illustrations de Barroux.
Est-ce qu'il a été facile pour vous de faire traduire des idées, des concepts ou un imaginaire, de le faire partager et de le confier en quelque sorte à un artiste graphique ?
Ca a été l’une des choses les plus passionnantes à faire. Qu’est-ce que le texte dit qui peut être tu, et exprimé par une image ? Il était important que l’image ne redonde jamais avec le texte, mais le poursuive, l’approfondisse, voire le symbolise. Un exemple : dans « Un homme qui dort », le personnage fixe le plafond pendant des heures. Perec écrit : « ce plafond dont tu as compté cent mille fois les fissures, les écailles, les taches, les reliefs », Barroux métamorphose ce plafond en papier peint hypnotique, dont les fleurs peintes deviennent des artères, et les fleurs un cœur, qui suggèrent la transe végétative du personnage. L’image a été gardée pour « La Belle absente », et ce cœur prend ici un sens nouveau dans cette histoire d’amour désespérée (absente de « Un homme qui dort »).
Etait-ce votre première collaboration dans ce domaine ?
Oui, et je remercie encore Séverine de m’avoir fait participer au projet. Avec Barroux aussi c’était la première collaboration ensemble, et j’aimerais beaucoup travailler avec l’un et l’autre, ou avec l’un ou l’autre dans le futur. J’ai déjà proposé un autre projet d’adaptation à Barroux, qui a refusé car il lui semblait trop proche de « La belle absente » (et je le comprends et ne lui en veux pas une seconde, je dois avoir un imaginaire très tordu et noir ).
Quels sont vos auteurs favoris ?
Georges Perec en fait partie. Mais aussi Haruki Murakami, pour sa douce folie, Brautigan pour sa folie douce, Giono dont j’admire la créativité de la langue, les écrivains voyageurs : Nicolas Bouvier, Kenneth White, Mario Rigoni Stern, les poètes, Emliy Dickinson, Georg Gtrakl, Jean Follain et tant d’autres encore…
J’adore aussi la jeunesse, et les écrivains actuels, Séverine Vidal, Raphaële Moussafir, Axl Cendres…
Avez-vous d'autres projets dans le 9 ème art ? Et plus simplement quels sont vos projets futurs ?
Oui, j’aimerais adapter un roman anglais très récent qui m’obsède et dont l’incroyable travail sur la langue m’a bluffée : « La douleur porte un costume de plumes » de Max Porter. Il s’agit d’un deuil, de Ted Hugues et d’un corbeau. Pas marrant-marrant au premier abord, et pourtant c’est un roman lumineux… que je verrais tellement bien illustré. Alors, avis : je cherche un illustrateur ! Et sinon continuer, bien sûr, à accompagner les auteurs dans leurs projets d’écriture et à faire publier leurs textes. Je songe de plus en plus à créer ma propre maison d’édition aussi. Voilà : ça fourmille !
Bonjour Séverine Présentez-vous à nous ? Qui êtes-vous ? Quel est votre métier et pourquoi l'avoir choisi ?
J'ai commencé par avoir du mal à quitter l'école (j'ai été pionne, prof, puis instit pendant onze ans), pour finalement la quitter pour de bon, en donnant ma démission en 2011, quand ma "carrière" (mon chemin ?) d'auteure a vraiment démarré.
Et puis, maintenant, j'écris. Beaucoup et avec passion. Jamais dans la souffrance, plutôt dans l'élan, l'envie de partage. L'humour n'est jamais bien loin, même dans les textes aux thèmes plus lourds. Albums, romans, BD, textes pour la presse, poésie. Je mène un peu partout des ateliers d'écriture (en milieu scolaire, avec les personnes âgées, dans des centres sociaux...), et mes livres me font voyager. Chaque jour, je mesure ma chance.
Même question qu’à Constance, comment écrit-on un livre à «quatre mains » ? Est-ce très différent d'une œuvre écrite seul. Comment concilier les styles littéraires et deux imaginaires pour n'en faire qu'un ?
Le métier d'écrivain est assez solitaire. Depuis mes débuts, j'aime partager cette expérience d'écriture avec d'autres auteurs. J'ai initié plusieurs projets collectifs (deux séries de polars pour la jeunesse, La Tribu chez Frimousse, et Roulette russe chez Oskar avec A-G. Balpe et S. Beau, un roman écrit à 7 sur la dictature, On n'a rien vu venir, chez Alice, préfacé par Stéphane Hessel). J'aime mêler mon écriture à celle des autres, accueillir les surprises des autres, les surprendre à mon tour. L'idée d'envoyer mon texte aux autres et d'attendre leurs retours me plaît. C'est aussi une façon de progresser, de ne pas s'endormir sur ses lauriers. Et de rire beaucoup, dans les centaines de mails échangés pour définir l'intrigue, cerner les personnages... Il faut faire confiance aux autres.
Comment avez-vous rencontré Barroux qui a déjà un univers propre ? L'avez-vous choisi pour son travail passé ou la collaboration était-elle «imposée » ?
J'ai rencontré Barroux lors du salon de Trouville il y a quelques années. Dans le train du retour, je lui parle du projet "Perec". Il est tout de suite emballé, et propose très vite des images, en bichromie.
Constance les a aimées, comme moi. Et on a foncé ! Depuis, Barroux et moi travaillons ensemble pour Mango : une série pour les petits, Les Méga-Bêtes. Et un album, L'attrape-Lune, qui sort fin mai.
Quels sont vos auteurs favoris ?
Mes auteurs de BD préférés sont Anneli Furmark, Larcenet, Michel Rabagliati, Pedrosa, Leela Corman, Johanna Hellgren, Rabaté, Camille Jourdy, Allison Bechdel, ... Tiens, mais en fait, il y a vachement de filles en BD :)
Avez-vous d'autres projets dans le 9 ème art ? Et plus simplement quels sont vos projets
futurs ?
Plein ! J'ai une BD pour adulte qui devrait paraître fin 2017, 23 rue des vagues. Deux séries de BD jeunesse, en collaboration avec Sandrine Beau. Et ma série Les Petites marées (pour ados, jeunes adultes) continue : après Mona, le tome 1 paru en 2014, paraîtront les tomes 2 et 3, Jules et Rose en septembre prochain. On suit à chaque fois un ado l'année de ses 15 ans. Et dans le 4ème et dernier tome, je les ferai se rencontrer tous les trois. D'autres projets en jeunesse, des romans, des albums, à découvrir sur mon blog : www.severinevidal.blogspot.com